Le Sombre Messie
Il faut reconnaître que le film ressemble à ce qu'on en dit, une grosse chose informe et pas digeste, très lente, plus oppressante que flamboyante, inutilement complexe et qui donne le sentiment de ne pas donner les clefs de sa propre construction, donc frustrante.
Mais, quand on entend Ridley Scott parler de son scénario en termes très élogieux, un truc absolument novateur, renversant, torturé, angoissant, le scénario absolu qu'il attendait depuis longtemps, on se dit que : soit il est devenu très vieux et manque complètement de recul pour voir ce dont il a réellement accouché, soit on ne comprend rien. Bizarrement, tout le monde a l'air de croire que c'est le premier terme de l'alternative qui est le bon. Et je veux croire que c'est un peu rapide. Certes, il serait difficile de trouver que Prometheus est limpide comme de l'eau de roche, mais il y a là-dedans des éléments troublants qui méritent le détour.
Commençons par le début.
Un géant blanc au profil grec, beau comme un dieu, quelque part sur Terre, dans une époque lointaine, avale une substance noire sur le bord d'une cascade.Il se délite, et mélange son ADN à l'eau d'où sortira bientôt la vie. On nous invite donc à l'identifier comme Notre Créateur.
Le problème est immédiatement posé. Car la question essentielle du film n'est pas: pourquoi veulent-ils désormais nous détruire, mais pourquoi nous ont-ils tout d'abord créés ?
Deux hypothèses :
1- chaque espèce n'a qu'un but, se reproduire, les Ingénieurs espèrent donc qu'en ensemençant la Terre, ils se donnent les moyens d'y trouver leurs semblables dans quelques millions d'années (processus qu'ils doivent probablement renouveler sur toutes les planètes de toutes les galaxies qui présentent les caractéristiques adéquates).
Question évidente : si les Ingénieurs sont l'ultime maillon de la chaîne de l'évolution des espèces, on se dit quant à nous qu'ils ont dû se gourer dans leurs calculs, parce que l'ultime maillon, c'est nous.Les Ingénieurs-Créateurs seraient donc perfectibles. Il y aurait eu comme un bug dans l'évolution programmée (toujours nous). Cette hypothèse est renforcée par la scène au cours de laquelle les deux ingénieurs égarés dans les sous-sols sont informés par le commandant du vaisseau que des formes de vie auraient été signalées à un kilomètre, mais qu'il doit s'agir d'un bug informatique. L'un des ingénieurs s'insurge : "ils nous emmerdent avec leurs bugs et leurs formes de vie" (bis).
2- les Ingénieurs savent parfaitement ce qu'ils font, Ils sont le Bien incarné, Ils aiment la vie, Ils la répandent. C'est leur mission. Ne ferions-nous pas la même chose si nous en avions les moyens dans un avenir très éloigné ?
Compte tenu de la différence de niveau technologique entre les Ingénieurs et nos propres ancêtres, nul doute que ces derniers aient considéré les premiers comme des Dieux.
La suite coule de source : les Ingénieurs reviennent régulièrement voir comment se porte leurs progénitures, comme des jardiniers qui bichonnent leurs protégés. Ils ont donc des contacts réguliers avec les premières civilisations humaines, qu'ils initient probablement aux représentations pariétales, en profitant pour y laisser leur signature : cinq ronds figurant les planètes d'où ils proviennent. L'interprétation qu'en donnent les archéologues s'avère donc erronée et mortifère. Il ne s'agit pas d'une invitation. Les hominidés terriens consignent simplement l'existence de leurs Dieux sur les parois des grottes pour les vénérer pendant les longues soirées d'hiver. Le film suggère précisément que c'est lorsque l'Homme se veut l'égal de(s) Dieu(x) que les ennuis commencent…
Problème pour les Ingénieurs: mélanger son ADN à l'élément liquide implique le sacrifice de l'un d'eux. Et un sacrifice douloureux : il faut préalablement avaler une substance noire et visqueuse qui va transfigurer et détruire la victime.
Et revoilà la dualité du Bien et du Mal qui refait surface. Blanc + Beau = Bon, tandis que Noir + Laid = Mauvais.
L'ADN semble d'ailleurs noircir et se modifier rapidement. En conséquence, dès le départ, la vie, et donc les humains en bout de chaîne, est le résultat d'un mélange harmonieux du Bien et du Mal. Et quand on voit l'importance des deux notions dans notre philosophie, nos religions, nos processus mentaux, notre histoire, nos rapports sociaux, etc, on n'est pas loin de trouver ça parfaitement éclairant comme explication.
L'Homme devient ainsi le résultat d'une évolution conforme aux attentes de son Créateur.
Les Ingénieurs maîtrisent évidemment le Mal, qu'ils confinent dans des urnes de leurs sous-sols. La pièce dans laquelle sont remisées les urnes est ornée d'une tête gigantesque qui est la reproduction du buste de Mussolini par Adolfo Wildt, ce qui constitue déjà un élément d'identification notoire au Mal.
Mais les corps des Ingénieurs retrouvés à l'entrée de cette pièce sont identifiés par un membre de l'équipage à un "holocauste". Cette fois, le doute n'est plus permis.
Question : comment les Ingénieurs ont-ils perdu le contrôle du Mal ? Thème classique de la littérature gothique depuis Mary Shelley : la créature échappe à son créateur et finit par la détruire. On nous l'a dit, les Ingénieurs sont perfectibles. A force de jouer avec le feu, ils ont fini par se brûler. Toutes les bases ont été infectées et détruites par ces créatures qui, n'ayant plus rien à se mettre sous la dent, se sont mise logiquement en sommeil en attendant des jours meilleurs.
Or c'est précisément de cela que parle Prometheus. Avant même d'avoir perdu le contrôle du Mal, les Ingénieurs ont compris qu'en semant la vie sur Terre (et probablement ailleurs), ils avaient semé la graine du Mal qui finirait par les emporter. Mais la menace ne vient pas des créatures visqueuses, ni directement des Hommes, mais de leurs propres créatures (parce que l'Homme, devenu Créateur à son tour, voit ses propres monstres lui échapper dans une mise en abîme étourdissante) : il s'agit des robots.
Le spécimen du vaisseau, David, est loin d'être une simple machine. C'est un être froid, parfait. Il est meilleur que Tony Parker au basket, il lit dans les rêves, il domine très nettement les humains par ses capacités. La preuve : il n'a pas besoin de respirer. Il n'a donc logiquement aucune admiration pour les Ingénieurs-Créateurs, dont il est capable de décoder la technologie.
Il se pose d'emblée comme un concurrent très sérieux sur le podium des divinités. Le film suggère que la prise de pouvoir est déjà en route depuis longtemps. Il n'y aura pas de grand soir, pas de coup d'Etat. Les robots se rendront indispensables (est-ce que ce n'est pas déjà le cas ?) et ambitionnent de devenir en douceur les Maîtres de leur créateur. L'ingénieur qui s'éveille de sa biostase ne s'y trompe d'ailleurs pas : c'est au robot qu'il s'en prend, le dernier spécimen de la lignée des Dieux fait subir à la lignée concurrente le sort qu’il a subi lui-même: il le décapite.
Le robot-nouveau-Dieu a sciemment introduit une goutte du Mal dans la boisson de l'archéologue. En s'assurant d'un porteur sain, il s'assure également des services d'un probable reproducteur. Il insémine le Mal qui provoquera la catastrophe à laquelle les Ingénieurs espéraient précisément échapper, lui ouvrant la porte d'un pouvoir sans aucune concurrence.
Ne pas oublier que l'arrivée du vaisseau sur la planète a lieu le 24 décembre (petit sapin de Noël du commandant), veille d'une nouvelle ère symbolique.
Le film multiplie donc les allusions au catholicisme.
Peter Weyland, Le vieillard souffreteux et milliardaire à l'origine de l'expédition est censé être mort au moment où les membres de l'équipage écouteront son message. Il n'en est rien. Ressuscitant de son tombeau de verre après la traversée, on le découvre entouré des apôtres qui lui lavent les pieds. Le Christ, fils d'un Dieu invisible, entend retourner près de son Père et partager son immortalité supposée avant de disparaître.
L'archéologue Elizabeth Shaw porte une croix en pendentif. Elle est stérile et se désole de ne pouvoir enfanter. Elle enfantera néanmoins, comme la vierge Marie. Elle porte d'ailleurs le prénom de sa grand-mère.
Or si le fils (Weyland) veut retrouver son père, qui le tue accidentellement, la fille accouche d'une créature tentaculaire et monstrueuse qui grandit à une allure vertigineuse et qui, introduisant son pénis dans l'Ingénieur, s'accouplera, elle, au Créateur original dans un inceste post-générationnel : grand-père et petite-fille. Le fruit de cette union atroce et contre-nature, Messie destructeur du futur, né comme son prédécesseur un 25 décembre, ne nous sera connu qu'à la dernière image.
Il est conforme à nos pires appréhensions : c’est Alien.
Scott n’avait peut-être pas tort d’être content de lui…
Votre article m'a bien plus éclairée que les précédentes "Explications" que j'ai pu lire auparavant. Merci
RépondreSupprimerToi poser beaucoup questions et donner beaucoup réponses alors que Prometheus navet intersidéral. Toi pas perdre temps à rédiger texte anglais et français et à imaginer remplir les blancs laissés sans aucune intention autre que facilité et fainéantise de la part des crétins qui ont fait film. Prometheus caca. Tristesse pour moi que d'écrire ça.
RépondreSupprimerSi tu n'apprécies pas l'article, il vaut mieux que tu ranges ton commentaire pour toi même au lieu de parler en illettré. --'
SupprimerJe comprends qu'une partie du film vous ait échappé…
RépondreSupprimeréchapp-é-e !
RépondreSupprimerPas de COD, pas d'accord : échapp-é
SupprimerQuestion évidente : si les Ingénieurs sont l'ultime maillon de la chaîne de l'évolution des espèces, on se dit quant à nous qu'ils ont dû se gourer dans leurs calculs, parce que l'ultime maillon, c'est nous.Les Ingénieurs-Créateurs seraient donc perfectibles. Il y aurait eu comme un bug dans l'évolution programmée (toujours nous). Cette hypothèse est renforcée par la scène au cours de laquelle les deux ingénieurs égarés dans les sous-sols sont informés par le commandant du vaisseau que des formes de vie auraient été signalées à un kilomètre, mais qu'il doit s'agir d'un bug informatique. L'un des ingénieurs s'insurge : "ils nous emmerdent avec leurs bugs et leurs formes de vie" (bis).
RépondreSupprimer--->> Mais qu'eeeeeeeeeeeest-ce tu dis ? Mais qu'eeeeeeeeeeest-ce tu dis ?!
Ce sont pas des "ingénieurs" ce sont des cons d'humains !
Confusion :
Supprimeringénieurs (avec minuscule) : les membres de l'équipage dont c'est le métier
Ingénieurs (avec majuscule) : les Dieux à l'origine de la vie sur Terre
WHAOUW ... Quelle éducation ! Mr Hector Léonardo --'
Supprimertu m'as foutu la tronche en l'air avec ce texte, makkash !!
RépondreSupprimerpire article
RépondreSupprimerPire que quoi ?
SupprimerQue le film !
SupprimerÇa, c'est vraiment très drôle!
SupprimerJ'ai trouvé ton article sur le film tout à fait pertinant car j'étais moi même en questionnement à propos de divers aspects du film.
RépondreSupprimerSi tu penses pouvoir éclairer ma lanterne, je me pose quelques questions sur Prométhéus et la sage Alien...
La créature que l'on voit à la fin du film n'est pas un Alien à proprement parlé et on sait tous pourquoi.
Ce n'est qu'une ébauche (un premier maillon de l'évolution de la bête ?) Hors une scène du film montre une sculpture murale
représentant un Alien (simplifié mais alien quand même) Comment est ce possible ? Et comment un Alien a t'il pu exister avant et à quoi ressemblait il ?
Beaucoup de questions ne trouveront surement pas de réponses, car le film apporte des réponses mais porte beaucoup au questionnement...
Cette bête à la fin du film il lui manque quand même cet aspect biomécanique (que je trouve que l'on a perdu au fil de la sage Alien)
que l'on doit à HR Giger. Ce style est néanmoins présent dans Prométhéus car le vaisseau (identique à celui du film de 1979) en ai constitué.
On notera d'ailleurs pour les puriste la scène ou l'ingénieur prend place aux commandes du vaisseau, c'est vraiment incroyable car ça donne
beaucoup de réponses entre 1979 et 2012 ! On peut donc dire que ce style est propre aux Ingénieurs je pense. Ce qui m'amène à une question
concernant toute la saga Alien y compris Prométhéus : Si ce style est propre aux ingénieurs comment est il possible de le retrouver dans Aliens
(le second volet de Cameron) on voit clairement des galleries et des formes identiques à celles vues dans le vaisseau, est ce normal ou tout
simplement possible ? La capacité de sculpter ces formes est elle génétique ? Ou alors Cameron s'est il donné des libertés artistiques ?
Enfin, faut il voir encore un parallèle avec le christianisme quand on nous dit que les Ingénieurs devaient nous anéantir il y a 2000 ans
(époque ou vivait Jésus) ou est ce juste une anécdote de plus ?
Vous soulevez un parallèle très pertinant entre nous et les ingénieurs (Les stases de sommeil pour les voyages par exemple ou aussi dès qu'une maladie
survient dans la saga on propose le "frigo" pour se donner le temps de réfléchir)
Cet Ingénieur qui dormait depuis 2000 ans se réveille ratrappé par ces êtres imparfaits que nous sommes...Sortes de pantins assez évolués
(et surtout assez cons) pour venir jusqu'à lui dans le trou du cul de l'univers, lui n'a qu'une idée fixe : nous détruire.
Pressé de repartir, pourtant à peine réveillé, même pas désorienté, il court à sa perte en poursuivant la génitrice de ce monstre (raté ?) il faut le dire
très "krakénien" (en référence à Pirates des caraïbes et cette bouche de pieuvre géante et ces dizaines de dents)
Enfin, Ne faut il pas croire qu'il existe "des bons et des méchants" au sein des Ingénieurs ?
N'est il pas possible que certains aient voulu nous créer juste "naïvement" ?
Et que cette race si parfaite soit finalement comme nous : une race incapable de faire le bien.
Votre enthousiasme fait plaisir à lire.
RépondreSupprimerVous (vous) posez beaucoup de questions, notamment sur la cohérence contextuelle d'un film au suivant. Il est assez courant que des erreurs échappent aux scénaristes, aux scripts, aux costumiers. Les décorateurs n'y échappent pas non plus (il suffit de découvrir au générique le nombre de professionnels qui apportent leur contribution pour se persuader qu'un peu de "casse" est inévitable). Tout ne doit donc pas être sur-interprété. D'autant qu'à l'origine (avant le succès du premier opus), aucune suite n'était prévue.
Concernant le réveil de l'Ingénieur, le film fait preuve d'une évidente paresse. Un humain qui sort de six mois d'hibernation met six heures à s'en remettre. Un Ingénieur qui dort depuis 2000 ans sans en éprouver ne serait-ce qu'un léger étourdissement (ou l'envie de ce précipiter dans le premier snack de l'espace venu) n'est pas des plus crédible.
Il me semble par ailleurs que R. Scott a supprimé une scène prévue au scénario initial, dans laquelle on expliquait que les Ingénieurs, scandalisés que leurs rejetons (les Humains) aient eu l'audace de crucifier le Christ, avaient décidé de nous donner une petite correction…
Cet article est fort sympathique, mais il y a un moment ou il dérape: la dernière phrase. Ce qui fait un bon film (que l'on ait une approche de cinéphile ou de mangeur de popcorn) ce ne sont pas les grandes idées qu'il y a derrière.
RépondreSupprimerQuoi que l'on puisse penser de la construction scénaristique que vous échafaudez autour de ce film, et même si on est complétement convaincu, ça ne change rien à une terrible réalité: ce film est une épouvantable catastrophe. Le script est bourré d'incohérences, les personnages ridiculement caricaturaux, bref, il n'y a pour ainsi dire rien à sauver.
A la limite, c'est peut être encore plus triste de savoir qu'il y avait de quoi faire un bon film avec les idées scénaristiques de départ...
Je partage en grande partie votre appréciation. Je l'explique d'ailleurs dans les premières lignes. Le film traîne en effet des défauts en cascades, comme des boulets de plomb qui l'attirent vers le fond. Mais Scott n'a jamais prétendu avoir fait un bon film, mais avoir trouvé un scénario exceptionnel, d'où cette analyse…
RépondreSupprimerNe pensez vous pas que le monstrueux inceste que vous décrivez entre la créature et l'Ingenieur trouve son pendant dans la relation curieuse entre Weyland et sa "fille", qui, compte tenu de l'âge, semblerait plutôt être sa petite-fille ? Cette relation est d'ailleurs très ambigüe lors de leur rencontre sur le vaisseau où elle lui embrasse la main sensuellement et l'appelle "père" avec une certaine ironie dans la voix... Mais ce n'est peut-être qu'une élucubration de plus à laquelle, malheureusement, l'opacité du film nous contraint.
RépondreSupprimerEn tout cas merci pour votre analyse qui, sans tout éclaircir, m'a tout de même bien aidé. J'étais spontanément plutôt de la "2ème alternative" que vous évoquez, à savoir que le film a beaucoup plus de sens qu'on ne le croirait et que, peut-être, Ridley Scott n'a pas été à la hauteur du scénario sur ce coup-là. On ne peut pas être toujours parfait...
Dont acte.
RépondreSupprimerLe vaisseau arrive le 31 Décembre, non?
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